Amis lecteurs,
Tout comme pour l’article précédent qui a bénéficié de l’apport de l’expertise de notre ami Max en matière de K31 et de tir à longue distance, j’ai cette fois le plaisir de vous offrir le témoignage d’un autre ami fidèle qui commandait un groupe de TE sur le théâtre des opérations en Afghanistan dans le cadre de leur mission de pacification au sein des forces françaises. Il s’agit ici de prendre la mesure de l’importance des tireurs à longue distance qui sont en appui dans bon nombre de missions et dans lesquelles, ils jouent souvent un rôle important sinon déterminant. Je remercie vivement le Chef Benoit de nous avoir accordé un peu de son temps … laissons-lui la parole …
Suite à des tirs systématiques au passage de nos différents convois par des éléments insurgés, le commandant d’unité le plus concerné par les missions d’escorte de convois et conseillé par son chef de groupe TE (moi) décida de monter une mission de destruction par tir LD, de la menace anti personnel.
Pour cette mission, un convoi logistique réel (avec une section de combat en escorte, reconnaissance génie) allait servir « d’appât » et un pool composé de 1 AMX 10RC, un VAB T2013 (20mm) et de un groupe MILLAN serait en haut du col pour assurer leur mission d’appui.
Voici le type de matériel employé :
* La plupart des images de cet article sont tirées du site de la Défense française.
Tous ces éléments se mettaient en place à chaque convoi mais n’apportaient pas une grande protection contre les insurgés cachés dans le village et qui restaient invisibles pour le pool APPUI et donc, extrêmement difficiles à détecter par la section de protection en déplacement même si, elle se postait face à la zone dangereuse avant le passage du convoi lui-même.
Ce qu’ils ne savaient pas ces insurgés, c’est qu’un groupe TE renforcé d’une escorte d’une quinzaine d’hommes en sécu arrière, de l’officier adjoint de la CIE et de son transmetteur allaient se mettre en position sur les hauteurs de la vallée.
Après maintes discutions entre le CDG TE (moi) et le commandant d’unité, les grandes lignes de la mission étaient posées :
Le pool appui devrait être en place pour 8h30 afin que le convoi puisse passer le col.
L’élément TE quant à lui devrait s’infiltrer de nuit en passant dans la montagne, après avoir été déposé entre 22h et 00h en profitant d’un convoi de nuit à 3 ou 4 km de la zone concernée.
Il me restait à planifier l’opération en interne avec le groupe :
Après avoir fait un déroulé rapide avec le groupe et, au vu de la distance évaluée des tirs sur carte, je décide d’utiliser les PGM H2 en calibre 50 avec les munitions perforantes explosives incendiaires pour la distance de tir (au dessus des 600 mètres) mais aussi pour créer l’effet psychologique chez les insurgés grâce aux effets de cette munition.
Autonomie de 72h en piles trans/optique/eau/vivre (ration US, bien plus pratique !). Oui, Je sais, c’est une mission d’à peine 24 heures mais depuis autre une mission pourrie en RCI, je suis devenu parano sur l’autonomie et la survie.
Avec tout ça, le pack standard : les monoculaires 12-40, les télémètres VECTOR, les anémomètres, les guillies, les postes trans avec tous leurs périphériques et bien sûr, l’unité feu renforcée (entre 12 et 15 chargeurs par personne, les bandes de MINIMI, grenades à fusils AP, grenades DF, fumigènes, … .). L’AUTONOMIE ainsi assurée a son prix : le poids avec la plupart des charges et ce, pare-balles compris, dépasse les 50 kg !
Vient le moment du travail cartographique pour l’itinéraire d’infiltration
Petit plan d’action
Les falaises de la vallée sont à pic et l’utilisation des « chemins de chèvres » est obligatoire pour monter mais aussi pour observer un maximum de discrétion car les roches ont tendance à rouler sous nos pas et la nuit, les bruits portent très loin.
Le briefing de mon groupe n’est pas le plus dur à réaliser car nous travaillons ensemble depuis pas mal de temps, le plus dur est celui du groupe qui est là pour nous « escorter », car la plupart du temps, l’infanterie ne sait pas s’infiltrer et n’a pas vraiment les habitudes de la discrétion de nuit ni, de la discrétion tout court d’ailleurs, désolés pour eux ;-) mais c’est malheureusement la vérité !
Toujours par souci de discrétion, j’ai d’ailleurs demandé au chef de groupe de garder ses hommes en arrière quand on serait arrivé sur la position principale.
Nous voici arrivés l’après midi de la veille du départ du convoi :
Rassemblement pour un dernier déroulé sur « bac à sable » des principaux acteurs impliqués dans la mission afin de bien contrôler si tout le monde connait bien son rôle et le déroulement de l’action.
Après cela, la préparation physique : sieste, GROS repas et les dernières vérifications du matos, son chargement dans le vhl et, …, un très grand café
Départ :
A l’écart de toute lumière les vhl concernés nous débarquent rapidement afin de ne pas éveiller les soupçons et, le dispositif formé, l’infiltration commence avec les différentes précautions d’usages liées à cette pratique et ponctuées de nombreuses pauses dues aux charges que nous portons mais aussi à l’observation et à « l’écoute » du terrain.
Arrivés à 1km de la position de tir prévue (03h00), une petite pose et l’observation des abords de la zone à l’aide de l’optique thermique avant le départ pour la mise en place du groupe TE.
Je procède à la mise en place des 2 équipes avec une distance d’une vingtaine de mètres entre-elles puis, je procède à la mise en place du tour d’observation et de veille au sein du groupe et ce, jusqu’au levé du jour.
Aux premières lueurs du jour, les 2 pièces ont pris leurs positions et je fais la répartition des secteurs d’observation et de tir.
L’observation de la zone commence et les spotters étudient leur baptême terrain avec les photos aériennes.
A 8h00, j’entends à la radio le message de départ du pool appui et le vois se mettre en place 20 minutes plus tard au niveau du col et je demande à mes 2 pièces d’intensifier l’observation dans leurs secteurs.
Au bout de quelques minutes d’observations ma 2 ème pièce remarque des mouvements à 1200m à l’intérieur du village.
Manifestement, il y a des personnels en armes (si mes souvenirs sont bons, des RPG7, RPK et AKMS.) qui se dirigent vers la route car ils ont surement été renseignés par la population étant donné que les procédures restaient les mêmes depuis pas mal de temps et que les insurgés les connaissaient parfaitement.
L’élément insurgé composé de 3 personnes s’est mis en position à une centaine de mètres d’un muret troué qui donne directement sur la route où doit passer le convoi, pendant que l’élément non armé quant à lui, s’est mis en guet-alerte au niveau de la route afin de les renseigner sur l’arrivé du convoi.
Au bout de 15 à 20 minutes, l’élément de tête du convoi franchit le col et, en 5 autres minutes, il finit par être à 200 mètres de l’entrée du village, à ce moment là, la « sonnette » a rejoint le reste des insurgés et l’équipe qui est en place est prête à faire feu sur le convoi par sa fenêtre de tir.
L’autorisation de tir nous est donnée par radio par l’officier adjoint :
Depuis longtemps, les 2 pièces avaient préparé leur tir sur leurs objectifs désignés, malheureusement ma deuxième pièce me rend compte que son angle de tir n’est plus bon et donc, seule ma première pièce était désormais en mesure de faire feu et ce, dans une fenêtre très étroite. Le coup part et je m’aperçois avec satisfaction que nous avons touché l’objectif en une fraction de seconde.
Chez les insurgés, c’est la confusion voire même la panique parce que le coup de feu provenant d’un endroit distant de plus de 850m d’eux et qu’en plus, le bruit du calibre 50 très lointain est impossible à localiser immédiatement, faisant retraite de façon désorganisée, il s’en est suivit un feu nourrit en direction de la route, où d’ailleurs le convoi n’est toujours pas encore arrivé.
Après quelques coups de cal 50 pour raccompagner les insurgés dans « leurs chaumières » (le tir en mouvement à cette distance n’est d’ailleurs pas chose aisée), le calme est revenu dans la vallée et le convoi a poursuivit sa route.
Après une trentaine de minutes, l’ordre fut donné de nous exfiltrer. Après une reptation arrière avec le retrait du matériel, nous nous sommes repliés en toute discrétion comme nous sommes habitués à faire mais cette fois, non sans mal puisqu’il faisait jour et que malgré mes recommandations, nous n’avions pas pu le faire de nuit. Ben oui, même au combat on cherche souvent la facilité.
Conclusion :
Notre objectif a été atteint car cette mission a permis à nos convois de ne plus être harcelés dans cette zone pendant plus de trois semaines. Malheureusement, par après, il fallu recommencer …
Lorsque plus tard, nous sommes revenus sur place, à notre grande surprise, nous avons découvert, gisantes çà et là, des rations qui avaient été consommées et délaissées par le groupe qui était sensé assurer notre protection trahissant ainsi notre présence à l’occasion de notre première mission. Bien entendu, de par un tel comportement, ils nous ont mis gravement en danger pour nos missions futures.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, ces missions, bien qu’utilisant très peu de moyens et de personnels, permettent, si tant est qu’elles soient régulièrement mises en place, de créer un climat d’insécurité chez l’ENI, tout en limitant le risque de dommage collatéraux. J’espère donc que ce témoignage vous a plu et que sa narration vous a permis de mieux comprendre, entre autres, ce que comportent les missions des tireurs d’élite ou de tels ou tels autres snipers sur le théâtre des opérations ... hors du cinéma ou des fantasmes que l’on peut se faire sur ces combattants.
Benoît
Pour plus d’infos :
http://www.youtube.com/watch?v=uFRixCBmw5I&feature=related
http://www.defense.gouv.fr/terre/equipements/armement-individuel-et-collectif/pgm
A+
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